Rapport Annuel 2018

Table des matières

    Message du président

    C’est un honneur pour moi de présenter le rapport des activités du dernier exercice du Tribunal des revendications particulières, dont je suis le président. J’en profiterai pour mettre en relief les possibilités qui s’ouvrent au Tribunal, mais également les défis auxquels il est confronté.

    Nous avons exécuté notre mandat au mieux de nos capacités en 2017-2018, et nous poursuivons dans le même esprit cette année. Malheureusement, notre souci d’excellence se heurte à maints égards à des obstacles qui sont indépendants de notre volonté.

    En premier lieu, les problèmes d’effectif persistent. En deuxième lieu, le financement insuffisant entraîne de graves difficultés d’accès au Tribunal pour les membres des Premières Nations. Enfin, en troisième lieu, le processus gouvernemental de désignation des négociateurs rallonge indûment le règlement des revendications (quand l’engagement d’un processus de négociations oblige le Tribunal à « suspendre » les mesures préparatoires à l’audience).

    Justice Harry A. Slade
    Président, Tribunal des revendications particulières

    À propos du tribunal

    Le Tribunal des revendications particulières, constitué le 16 octobre 2008, s’inscrit dans la politique « La justice, enfin » soit la politique du gouvernement fédéral établie de concert avec l’Assemblée des Premières Nations pour accélérer le règlement des revendications particulières afin que les Premières Nations revendicatrices obtiennent justice et que le gouvernement, l’industrie et l’ensemble des Canadiens soient fixés.

    Un processus de règlement des revendications particulières est engagé lorsqu’une Première Nation revendicatrice présente une revendication au ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord du Canada, qui doit déterminer si la revendication sera admise aux fins de négociations. L’examen de la revendication est confié à la Direction des revendications particulières du Ministère, dont les conseillers rédigent un avis juridique qui sert de fondement à la recommandation formulée au ministre.

    Le Tribunal a compétence sur les revendications non admises aux fins de négociations après trois ans ou pour lesquelles les négociations n’ont pas abouti après trois ans. L’instruction des revendications par le Tribunal ne constitue pas une procédure d’appel ou de contrôle d’une décision ministérielle.

    En vertu de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières (Loi ou Loi habilitante), ses membres sont nommés à partir d’une liste de juges de juridiction supérieure. Cette mesure vise à garantir l’indépendance du Tribunal.

    Qu’entend-on par revendication particulière?

    Les revendications particulières peuvent être fondées notamment sur la violation d’un traité, la fraude, la disposition sans droit ou l’absence de compensation adéquate liées aux terres de réserve. Le Tribunal est habilité à verser une indemnité maximale de 150 millions de dollars aux Premières Nations revendicatrices.

    Plus particulièrement, une revendication particulière peut ouvrir droit à une indemnisation dans les circonstances suivantes :

    • l’inexécution par la Couronne de son obligation légale liée à la fourniture d’une terre ou de tout autre élément d’actif en vertu d’un traité ou de tout autre accord conclu avec une Première Nation;
    • la violation par la Couronne d’une obligation légale découlant de tout texte législatif relatif aux Indiens ou aux terres qui leur sont réservées;
    • la location ou la disposition sans droit de terres de réserve;
    • la violation d’une obligation légale découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve;
    • l’administration par la Couronne des terres d’une réserve, de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif d’une Première Nation;
    • l’absence de compensation adéquate pour la prise ou l’endommagement, en vertu d’un pouvoir légal, de terres d’une réserve par la Couronne ou un organisme fédéral;
    • la fraude, de la part d’un employé ou mandataire de la Couronne, relativement à l’acquisition, à la location ou à la disposition de terres d’une réserve.

    Revue de l’exercice 2017-2018 

    Dotation

    Le niveau de dotation du Tribunal est presque suffisant pour assurer un fonctionnement efficace de l’administration et du greffe, ainsi qu’en ce qui a trait aux adjoints judiciaires. L’équipe compte dorénavant un greffier adjoint dont relève le personnel du greffe, les adjoints judiciaires et un adjoint administratif. La seule exception a trait à la capacité de satisfaire à la demande de services juridiques en français. Actuellement, une seule conseillère peut répondre à ces demandes, et elle y parvient à force de dévouement et de compétences hors du commun. L’ajout d’une personne la délesterait d’une partie de sa lourde charge de travail et assurerait la continuité du service durant les vacances et les conflits d’horaire, et lui permettrait de répondre à d’autres besoins et d’acquitter ses autres responsabilités.

    Finances

    À l’heure actuelle, le financement du Tribunal des revendications particulières semble suffisant pour assurer le traitement efficace des revendications dont il est saisi. Ses états financiers peuvent être obtenus auprès du Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs (SCDATA).

    On remarque une tendance à engager des négociations après que les préparatifs en vue de l’audience de certaines revendications ont été entamés. Pour les raisons exposées ci-après, la tenue de négociations tient à la fois de la bonne et de la mauvaise nouvelle. De toute évidence, il est toujours souhaitable de parvenir à un règlement négocié, mais le processus actuel est trop laborieux et nuit au règlement rapide des revendications. Par surcroît, en cas d’échec des négociations, de nombreuses années peuvent s’écouler entre le dépôt d’une revendication et l’instruction par le Tribunal.

    L’ajout d’un mécanisme de médiation à l’intérieur du processus de négociation permettrait d’accélérer le règlement des revendications. Les membres du Tribunal peuvent jouer le rôle de médiateur. Si la voie des négociations gagne en faveur, notre budget actuel sera insuffisant.

    Travaux du tribunal

    Le Tribunal est souvent saisi de revendications d’une grande complexité, tant sur le plan des faits que sur celui de l’application de la loi. Même les revendications les plus simples exigent une audience complète sur le fond et, si elles sont jugées fondées, sur les questions d’indemnisation. Les demandes préliminaires sur la compétence, l’admissibilité de la preuve et d’autres questions sont fréquentes. Souvent, le dossier comprend des récits oraux, des témoignages d’expert et une abondante preuve documentaire, et il peut couvrir plus d’un siècle.

    Les instances devant le Tribunal reflètent les intérêts et les besoins des intervenants, ainsi que l’objectif de réconciliation. La tenue des audiences dans la collectivité des revendicateurs est au cœur du processus. Cette manière de faire déroge à celle de la plupart des tribunaux, qui tiennent leurs audiences dans une cour de justice où les participants et les observateurs doivent se rendre. Il n’est pas possible de tenir des audiences consécutives avec la même efficacité que les cours de justice traditionnelles.

    Revendications

    Depuis 2011, le Tribunal a reçu un total de 93 revendications, dont voici la répartition géographique : 

    Répartition géographique des revendications

    Le Tribunal est actuellement saisi de 75 revendications, dont 74 sont actives et font l’objet d’une gestion d’audience.

    Conférences de gestion des instances

    Les questions procédurales sont examinées dans le cadre de conférences de gestion des instances (CGI). Depuis son entrée en activité en 2011, le Tribunal a tenu un total de 895 CGI (en date du 1er septembre 2018). Au total, 179 CGI ont eu lieu en 2017-2018, dont la majorité par voie de téléconférence.

    Audiences

    Lorsque des témoignages de vive voix doivent être présentés en preuve, des audiences en personne sont tenues. C’est le cas notamment si un récit oral ou un témoignage d’expert est présenté. Les observations finales sur le bien-fondé de la revendication et l’indemnisation sont entendues en personne. C’est aussi le cas pour les demandes qui soulèvent des questions de compétence ou d’autres questions litigieuses sur lesquelles les parties n’ont pas trouvé de terrain d’entente dans le cadre du processus de gestion de dossier. Le Tribunal a tenu 24 audiences en 2017-2018.

    Prise en compte de la diversité culturelle par le tribunal des revendications particulières

    Le Tribunal est devenu un expert dans la mise au point de processus décisionnels qui sont adaptés à la culture tout en préservant l’intégrité des procédures. À l’article 13 de sa Loi habilitante, il est prévu que le Tribunal peut « tenir compte de la diversité culturelle dans l’élaboration et l’application de ses règles ».

    Audiences dans la collectivité : La tenue des audiences dans la collectivité des revendicateurs est au cœur du processus et de l’effort de réconciliation.

    Visites sur place : Le président de l’audience se rend souvent sur place pour avoir une meilleure idée de la terre faisant l’objet d’une revendication; il peut être accompagné des parties, de membres du personnel du Tribunal et de membres de la collectivité.

    Cérémonies : Les parties et les membres du Tribunal peuvent participer à des cérémonies de la longue maison, ainsi qu’à des rituels de chant, de danse et du calumet avant ou après une audience.

    Prière : Des prières de bienvenue sont souvent prononcées en ouverture d’audience par le chef, un aîné ou une autre personne désignée.

    Audition de récits oraux : La date d’audition des récits oraux est souvent fixée le plus tôt possible dans le cycle d’audience des revendications soumises au Tribunal, en reconnaissance de l’importance de préserver le témoignage des aînés. Dans un cas, des aînés ont pris part à une cérémonie de la vérité avant de livrer leur témoignage; après la consignation au dossier des explications sur le sens de cette cérémonie, le Tribunal a accepté que la participation à celle-ci tienne lieu de serment ou de déclaration solennelle.

    Adaptation linguistique : Le Tribunal entend volontiers les témoins dans leur langue maternelle avec l’assistance d’interprètes compétents. Il s’agit d’une pratique courante dans le cadre des audiences.

    Jurisprudence

    Le 26 avril 2017, la Cour suprême du Canada a instruit l’appel de l’arrêt Sa Majesté la Reine du Chef du Canada c. Bande indienne de Williams Lake, rendu par la Cour d’appel fédérale. L’arrêt, publié le 2 février 2018, confirme la compétence du Tribunal sur les revendications relatives à la période préconfédérative, sa décision sur l’obligation fiduciaire de la Couronne et la qualité d’expert du Tribunal à titre d’entité décisionnelle.

    Résumé :
    La Bande indienne de Williams Lake (la « Bande ») a soumis au Tribunal une revendication visant à obtenir réparation pour la perte d’une partie de son territoire traditionnel près de Williams Lake en Colombie-Britannique, où se trouvait notamment un village (les « terres du village »). Malgré l’adoption de la politique coloniale de mise en œuvre de la Proclamation relating to acquisition of Land, 1860 (la « Proclamation no 15 »), suivant laquelle les « établissements indiens » ne pouvaient faire l’objet de préemptions, les fonctionnaires responsables de la mise en œuvre du régime de préemption n’ont pris a ucune mesure pour protéger les terres du village contre la préemption, ni mis ces terres de côté à titre de réserve. Après l’adhésion de la Colombie-Britannique à la Confédération, le Canada s’est vu conférer par l’art. 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique Conditions de l’adhésion ») l’obligation de créer des réserves indiennes selon une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie par la colonie. Les fonctionnaires fédéraux ont reconnu qu’autoriser les préemptions avait été une erreur, mais ils n’étaient pas disposés à empiéter sur les droits des colons. Ils ont plutôt attribué à la bande une autre étendue de terre à titre de réserve. 

    Depuis son entrée en activité en 2011, le Tribunal a tenu un total de 895 CGI (en date du 1er septembre 2018). 

    À l’issue de son audience sur le bien-fondé de la revendication particulière, le Tribunal a conclu que la revendication particulière de la bande donnait ouverture à l’indemnisation des pertes subies à cause des actes et des omissions de la Couronne en lien avec les terres du village. Il a statué que la Couronne impériale avait envers la bande l’obligation légale de protéger ses terres contre la préemption et qu’elle a manqué à cette obligation (suivant l’al. 14(1)b) de la Loi) et que Sa Majesté du chef du Canada (« Canada ») avait une obligation fiduciaire envers la bande et qu’elle l’a violée (suivant l’al. 14(1)c)). Il a conclu en outre que le Canada pouvait, en application de la Loi, être tenu responsable à l’égard de la revendication de la bande visant la période préconfédérative. Avant que le Tribunal ne se prononce sur l’indemnisation, le Canada a demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal sur le bien-fondé de la revendication. La Cour d’appel fédérale a accueilli la demande et rejeté la revendication de la bande.

    Le juge en chef Wagner, s’exprimant au nom de la majorité (5-2-2), a accueilli l’appel et rétabli les conclusions de fait du Tribunal. En particulier, la Cour a fait valoir que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’appliquait aux conclusions de fait et de droit, de même qu’aux questions mixtes de fait et de droit.

    D’entrée de jeu, la Cour suprême du Canada a insisté sur le fait que le « juste règlement de telles revendications est essentiel au processus de réconciliation ». Elle renchérit ainsi au paragraphe 38 de son arrêt :

    Le Tribunal continuera d’accroître son expertise dans l’application du droit des fiducies aux faits historiques particuliers allégués dans les revendications particulières et de se familiariser avec les dossiers de preuve volumineux et spécialisés propres à ces revendications, lesquels peuvent comprendre des récits oraux, des documents archivés, des études anthropologiques et historiques, ainsi que des rapports archéologiques. Au vu de ce qui précède, la cour de révision doit se garder de modifier à la légère une décision du Tribunal au motif que les faits tenus pour avérés ne sauraient raisonnablement appuyer ses conclusions sur l’existence et le contenu d’une obligation fiduciaire [références omises].

    À l’issue de son audience sur le bien-fondé de la revendication particulière, le Tribunal a conclu que la revendication particulière de la bande donnait ouverture à l’indemnisation des pertes subies à cause des actes et des omissions de la Couronne en lien avec les terres du village. 

    Regard sur 2018-2019

    Effectif des commissaires

    Conformément à la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, celui-ci est formé soit d’au plus six membres à temps plein, soit de membres à temps partiel, ou d’une combinaison de membres à temps plein et à temps partiel, pourvu que le temps qu’ils consacrent ensemble à l’exercice de leurs fonctions n’excède pas celui qu’y consacreraient six membres à temps plein. Le gouverneur en conseil établit une liste de six à dix-huit juges de juridiction supérieure qui peuvent être nommés membres du Tribunal. Le gouverneur en conseil choisit le président et les autres membres du Tribunal parmi les juges figurant sur la liste. La durée maximale du mandat des membres est de cinq ans et ceux-ci occupent leur poste aussi longtemps qu’ils demeurent juges d’une juridiction supérieure. Le mandat des membres est renouvelable une seule fois.

    L’EFFECTIF ACTUEL DU TRIBUNAL EST LE SUIVANT :
    Membre Expiration du mandat Temps plein
    ou temps partiel
    Nbre de dossiers
    attribués
    Le juge H. Slade 11 décembre 2020 Temps plein (président) 13
    Le juge W.L. Whalen 1er avril 2019 Temps partiel  8
    Le juge P. Mayer
    (bilingue)
    18 mai 2023 Temps partiel  32
    Le juge W. Grist 5 septembre 2022 Temps partiel  22

    En avril 2019, après le départ à la retraite du juge Whalen, l’effectif du Tribunal sera moindre que celui dont fait état le rapport annuel de septembre 2013, alors que le nombre de revendications actives s’établissait à 42.

    Le climat d’incertitude qui subsiste eu égard aux nominations futures complique la planification de la gestion des revendications en cours et à venir, ainsi que la planification de la relève.

    Difficultés d’accès : il faut sonner l’alerte

    En tête des préoccupations pour 2018-2019 se trouve la capacité du Tribunal à remplir son mandat dans un contexte de sous-financement des parties.

    Afin de rendre le processus de règlement des revendications plus équitable et plus rapide, le Tribunal s’apprête à renouveler ses directives de pratique touchant les CGI axées sur la planification préliminaire des questions en litige, les conférences de règlement, le mécanisme de médiation du Tribunal et les suspensions d’instance. Nous sommes bien conscients toutefois que ces efforts resteront vains si les parties ne peuvent pas participer pleinement au processus. Voici une mise en contexte qui permettra de mieux comprendre pourquoi ces directives ont été jugées nécessaires :

    Mandat

    Le Tribunal a été constitué pour « compte tenu de la nature particulière des revendications, statuer sur celles-ci de manière équitable et dans les meilleurs délais ». Selon sa Loi habilitante, l’objectif est en partie d’encourager « le règlement par la négociation des revendications bien-fondées » (Préambule, Loi sur le Tribunal des revendications particulières).

    Comité consultatif

    Le Tribunal est préoccupé à l’idée de ne pas pouvoir remplir son mandat. Un comité consultatif constitué en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi a été chargé de cerner les préoccupations du Tribunal, de faire état des obstacles internes et externes qui nuisent à l’efficacité du processus décisionnel et, tel qu’il est prévu au paragraphe 12(2), de fournir des avis « lors de l’établissement des règles de procédure, notamment à l’égard des questions d’efficacité » (original non en italique). Au vu de la lenteur et de la complexité du processus de modification des règlements découlant de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22, il a été jugé plus à propos de recourir à des directives de pratique afin de réaliser des gains d’efficacité.

    Sur une période de 10 mois, le Comité s’est réuni à 3 reprises et il a reçu des suggestions très utiles de la part de tous les intervenants.

    En tête des préoccupations pour 2018-2019 se trouve la capacité du Tribunal à remplir son mandat dans un contexte de sous-financement des parties.

    Rapidité du processus

    Autant les Premières Nations que la Couronne ont failli à l’objectif de règlement rapide des revendications. Par suite de demandes des parties, la plupart des instances bifurquent et se déroulent en deux temps : une analyse du bien-fondé de la revendication qui, s’il est établi, sera suivie d’un examen des questions d’indemnisation. La durée moyenne d’une instance entre le dépôt de la revendication et la décision ultime portant sur l’indemnisation est de 3.5 ans. Dans le cas des revendications jugées fondées en droit, il s’écoule 5.2 ans en moyenne entre le dépôt et l’adjudication d’une indemnité. Toutefois, ces statistiques ne reflètent pas toute la réalité. Par exemple, des 57 revendications déposées entre 2011 et mars 2014 (actives depuis presque, ou plus de, cinq ans), 41 sont encore devant le tribunal. De ces 41, il y a 29 revendications dans lesquelles les parties n’ont pas fixé d’audience sur le fond.

    Étant donné la complexité des étapes préalables à l’audience dans une procédure quasi judiciaire, les retards sont inévitables, mais le mandat du Tribunal ne lui permet pas de tolérer un délai de 63 mois après la date du dépôt.

    Les retards dans le processus du Tribunal sont dus essentiellement au fait que les deux parties n’ont pas les ressources nécessaires pour assurer une défense et une poursuite diligentes des revendications.

    La plupart des Premières Nations ont besoin de l’aide financière du gouvernement pour préparer leurs revendications et en saisir le Tribunal. D’après leurs représentants, le financement octroyé pour préparer une revendication en vue de sa soumission au Tribunal est nettement insuffisant. L’autre conclusion qui s’impose est que le processus astreignant de demande de financement pour le travail préparatoire en vue des audiences nuit à la diligence des avocats.

    Revendications particulières : Examen par la Division générale des revendications particulières et processus du Tribunal

    La plupart des revendications dont le Tribunal est saisi n’ont pas été admises aux fins de négociations par suite d’un avis de la Direction générale des revendications particulières (DGRP) du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord du Canada (RCAANC).

    La DGRP fonde son évaluation des revendications sur l’information fournie par les revendicateurs et, probablement, qui est issue de ses propres recherches. La participation du revendicateur est encouragée avant qu’une recommandation soit formulée au ministre. Le revendicateur et la DGRP peuvent demander des rapports d’expert, parfois conjointement.

    L’accès aux dossiers d’évaluation de la DGRP permettrait au Tribunal de cerner les questions essentielles de fait et de droit dès le début du processus, et de collaborer avec les parties afin d’établir un plan efficient pour l’exécution des tâches préalables à l’audience. Cet accès donnerait également la possibilité aux membres du Tribunal de s’acquitter plus rapidement de leurs tâches judiciaires courantes (assistance aux avocats pour l’établissement des besoins en matière de preuve, établissement du calendrier des instances, fixation d’une date d’audience et, le cas échéant, confrontation à la réalité de chaque partie).

    Le matériel recueilli par la DGRP n’est pas mis à la disposition du Tribunal parce que la Couronne, au nom du principe du « privilège des négociations », estime que ces documents ne peuvent être divulgués, y compris les documents historiques. C’est le cas même si la revendication n’est pas admise aux fins de négociation. Les revendicateurs mettent en doute la compatibilité de cette pratique avec les objectifs de la Loi et le principe d’honneur de la Couronne.

    Justice

    Bien que le Tribunal rende ses décisions dans un esprit de justice, l’une de ses caractéristiques fondamentales fait défaut, à savoir l’accès des Premières Nations au Tribunal. Le préambule de la Loi consacre « le droit des Premières Nations de saisir ce tribunal de leurs revendications particulières » (non en italique dans l’original). Force est de conclure que le financement insuffisant et son affectation au compte-gouttes aux Premières Nations revendicatrices empêchent dans les faits un accès efficace au Tribunal.

    L’insuffisance du financement et les processus eux-mêmes contribuent de plusieurs manières à la lenteur du règlement des instances devant le Tribunal. Par exemple, la bifurcation des instances entre l’analyse du bien-fondé et l’examen des questions d’indemnisation est devenue la norme. C’est rarement le cas des autres types d’instances judiciaires. C’est devenu monnaie courante devant le Tribunal parce que les Premières Nations n’ont pas les ressources financières voulues pour préparer d’emblée un dossier de demande d’indemnisation. Si leurs ressources étaient suffisantes, le délai entre la date du dépôt et la décision ultime serait considérablement raccourci. 

    Règlements négociés

    La voie privilégiée pour parvenir à un règlement des revendications est la négociation. L’un des objectifs de la Loi est d’encourager « le règlement par la négociation des revendications bien-fondées ». Dans nombre de cas où les revendications soumises au Tribunal font l’objet de négociations, l’instance a été suspendue pour donner le temps aux parties de parvenir à un règlement. Le temps que prennent ces négociations a de quoi inquiéter. Dans certains dossiers, les parties ont eu besoin d’une année pour s’entendre sur un protocole de négociation, sans lequel les négociations elles-mêmes ne peuvent pas commencer. Selon les estimations reçues, les délais avant un règlement iraient de deux à cinq ans.

    Quelles sont les causes des retards dans les négociations? Les travaux du Comité consultatif ont révélé que les négociateurs de la Couronne se présentent aux séances de négociation sans pouvoir accepter ou offrir un règlement exécutoire. Durant les négociations, les parties discutent de manière générale du bien-fondé d’une revendication et sondent la partie adverse sur la valeur pécuniaire attribuée à la revendication si jamais elle est déclarée fondée. Chaque partie peut demander des rapports d’expert, séparément ou conjointement, en vue d’établir plus exactement la valeur des pertes revendiquées par une Première Nation. Un examen subséquent peut être commandé. Les ressources des Premières Nations ne leur permettent pas toujours de participer aussi pleinement au processus que les autres intervenants. Les représentants de la Couronne doivent faire des démarches pour obtenir le financement nécessaire à la production des rapports jugés essentiels. Le processus peut prendre des années.

    Aucun accord de règlement n’est signé durant le processus de négociation. Au mieux, un protocole d’accord peut être conclu, au titre duquel les représentants des parties s’engagent à prendre des mesures internes pour établir un accord juridiquement exécutoire sur les modalités de règlement. Du côté de la Couronne, le processus d’approbation peut prendre huit mois ou plus, selon la valeur de l’indemnisation prévue au protocole d’accord.

    Lorsqu’un tribunal est saisi d’un dossier, il est de rigueur de fixer une date pour le procès. Au Québec, les demandeurs doivent être préparés à fixer une date d’audience dans un délai de six mois de la date où le protocole de l’instance est établi par le tribunal, qui se produit juste après que la demande originale a été signifiée à la partie défenderesse. En Ontario, les demandes sont automatiquement rejetées si elles n’ont pas été instruites dans les cinq ans suivant leur commencement.

    Durant les négociations, les parties discutent de manière générale du bien-fondé d’une revendication et sondent la partie adverse sur la valeur pécuniaire attribuée à la revendication si jamais elle est déclarée fondée.

    Dans le cadre de revendications se trouvant devant le Tribunal, il lui a été demandé de mettre en suspens l’intégralité du travail préparatoire à l’instance pour permettre aux parties de négocier. Dans les cas où les parties se sont entendues sur un règlement, il a fallu au moins deux ans. L’instance peut rester suspendue indéfiniment, sans signe tangible de progrès. Ces retards sont la conséquence directe du fait que la Couronne n’a pas le mandat de proposer un règlement exécutoire. Si un protocole d’accord est conclu, il peut s’écouler jusqu’à deux ans avant que les approbations nécessaires soient obtenues pour offrir un accord exécutoire.

    Si la Couronne n’obtient pas les approbations voulues, aucun règlement n’est possible et le dossier sera soumis de nouveau au Tribunal après un certain délai qui, dans certains cas, peut dépasser cinq ans après la suspension de la revendication. Comme le processus au complet est suspendu, les parties doivent reprendre et mener à terme toutes les étapes préalables à l’instance.

    Pourquoi un revendicateur consentirait-il à la suspension d’un dossier soumis au Tribunal pendant un processus de négociations? Parce qu’il dépend de l’aide financière qui lui est octroyée pour faire avancer son litige, et que le programme de financement n’autorise pas la conduite parallèle d’une instance devant le Tribunal et d’un processus de négociations. Ces modalités n’encouragent pas le règlement par négociation des revendications actives devant le Tribunal et ne poussent pas les parties à chercher un terrain d’entente.

    Médiation

    La Cour fédérale peut accorder une suspension d’instance pouvant aller jusqu’à six mois pour la conduite de négociations, pourvu que les parties s’engagent à recourir à un mécanisme extrajudiciaire de règlement. Nous avons proposé une règle semblable mais, pour les raisons susmentionnées, on nous a informés qu’il serait illusoire de penser qu’un accord de règlement exécutoire puisse être conclu en moins de six mois ou même d’une année.

    Un membre du Tribunal a été désigné comme médiateur pour bon nombre de revendications. Les résultats ont été mitigés. Lorsque la médiation a été un succès, il a fallu moins de temps pour conclure un protocole d’accord, mais l’accord devient exécutoire seulement une fois que le processus d’approbation du gouvernement est terminé. Le Tribunal reste saisi du dossier, mais le processus de règlement de la revendication perd en e fficacité, et le mandat n’est pas respecté.